En Calabre, la vérité sommeille à 500 mètres de profondeur
“Ce n’est pas le Cunski et il n’y a aucune trace de déchets radioactifs. Affaire classée.”Communiqué du Ministère de l’Environnement du 29 octobre 2009
Ce qui se présentait comme un des plus grands scandales de ces vingt dernières années ne reposerait sur aucun fait tangible.
Fin Aout, un mafieux repenti de la N’Dranghetta affirme dans un interrogatoire que la Mafia Calabraise coulait au large des cargos avec à leur bord des containers de déchets toxiques. Au total, une trentaine de bateaux aurait été ainsi sabordé.
Francesco Fonti, il pentito, parle de trois navires dont il aurait lui même orchestré le sabordage. En guise de bonne foi, il donne les coordonnées d’une des trois épaves, au large de Cetraro. Le Parquet vérifie : il y a bien un bateau qui repose à 470 mètres de fond.
L’association écologiste Legambiente dénonce cet état de fait depuis 20 ans. Une pratique connue mais la loi du silence engendre l’indifférence. Selon Legambiente, de 1975 jusqu’au début des années 90, la Mafia récupérait des déchets toxiques venus du Nord (Italie, Europe), les chargeait sur des cargo pourris et faisait tout exploser au large.
Les déclarations du repenti relance l’idée d’un véritable crime contre l’environnement perpétré en Méditerranée. Et pas seulement.
Francesco Fonti affirme que “les déchets ont été dans un premier temps acheminés en Somalie et remis aux seigneurs de guerre qui étaient payés en armes. En échange, ces groupes africains balançaient les déchets dans le désert. A l’arrivée des cargos, les militaires italiens qui géraient le port de Mogadiscio s’arrangeait pour regarder ailleurs“, dit Fonti. Il y avait un arrangement.
La découverte de l’épave à la fin de l’été accrédite les thèses de Francesco Fonti.
Aussitôt, des caméras plongent pour filmer les premières images de l’épave et des bidons.
Au port de Cetraro, c’est la déprime.
Les pêcheurs refusent de travailler ” A quoi bon aller en mer puisqu’on ne vendra pas le poisson que tout le monde soupçonne être radioactif“.
Les chalutiers restent à quai.
Plus de pêche, plus de marché, les poissonniers ne travaillent plus.
Tout un pan de l’économie locale est arrêtée.
Ils attendent le résultat des expertises ordonnées par le gouvernement.
Le bateau “Mare Oceano” se rend sur zone pour envoyer un robot ultra performant inspecter les fonds. Dotés de caméra, il identifiera avec précision le cargo.
A terre, les militants écologistes s’inquiètent. Leur Calabre si belle, si contaminée aussi bien dans son sol que dans ses eaux.
Les professionnels du tourismes accablent ces “alarmistes”. “A force de manifester, ils font peur aux touristes et l’économie devient sinistrée. Plus de pêche, plus de tourisme”
Parce que quoi qu’il en soit, l’affaire du Cunski n’est pas nouvelle. Ce qui constitue une découverte aux yeux de l’Europe n’est, sur place, que le prolongement d’un scandale qui dure depuis vingt ans.
L’acheminement des déchets toxiques vers la Somalie. Les bateaux coulés en Mediterranée. Les déchets industriels largués dans des décharges improvisées à ciel ouvert.
Les médecins ont constaté ces dix dernières années une progression spectaculaire du nombre de cancers et tumeurs, “nous sommes tous des cadavres ambulants” marmonne PierAngelo, un quadragénaire qui traine sur le port de Cetraro.
Mais aucun lien ne peut être établi entre l’augmentation des pathologies et la présence avérée des déchets toxiques, identifiés et repérés par des images satellites et des études géologiques menées par la Region. Ici, la température du sol est supérieur de 7 à 8 degrés à celle relevée sur les terrains avoisinants.
En 1990, la Jolly Rosso, un navire contenant “officiellement’ des déchets toxiques s’échouent à Amantea. Les enquêtes s’ouvrent pour découvrir ce qu’est devenu le chargement du “bateau rouge“. Les enquêtes s’élargissent à la pratique des sabordages au large.
Natale di Grazia, capitaine de frégate de la capitainerie du port de Reggio, travaillait pour le Parquet. Ses investigations mettaient en lumière l’immense marché des déchets toxiques et les naufrages en mer. Les mafieux repentis ont commencé à parler, à donner des informations précises.
Natale di Grazie devait recueillir des témoignages importants à La Spezia dans le cadre de l’enquête du “bateau rouge”. Parti en voiture, il n’atteindra jamais sa destination. Arrêté à une aire de repos pour se restaurer, il sera terrassé à la sortie de la caféteria par un infarctus. Aucune autopsie, aucun droit à la famille de récuperer le corps. Et les honneurs funèbres de la Nation pour “ce soldat qui luttait avec courage contre la Mafia”.
Gianfranco Posa a travaillé avec l’ONG WWF. Militant écologiste, il est aujourd’hui le président d’un comité apolitique et citoyen qui porte le nom de Natale di Grazia. Depuis 20 ans, ce comité pointe les nombreux dysfonctionnements.
A Amantea, ITW de Gianfranco Posa, président du Comité NatalediGrazia qui travaille avec WWF Calabre :
5′45
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Les premiers éléments concrets de pollution radioactives interviennent après l’échouage du Jolly Rosso en 1990.
Le Parquet de Paola, la juridiction de la zone, évoque régulièrement le manque de moyens. Notamment pour les investigations en mer.
Il y a 5 ans, le procureur avait réclamé un crédit de 50 000 euros pour les besoins de l’enquête. L’offre a été présentée à trois reprises. Le gouvernement n’a pas refusé, mieux, il n’a jamais répondu à cette requête.
ITW Roberto della Setta, fondateur de Legambiente, aujourd’hui sénateur Parti Démocrate, chef de la commission environnement .
3′10
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Cette affaire n’est pas un scandale italien, c’est aussi un scandale européen. Il y a des intérêts économiques. Des groupes industriels sollicitent la Mafia pour se débarasser à moindre cout de leurs déchets les plus nauséabonds. Qu’importe ce que deviennent ces déchets, qu’ils soient envoyés par les fonds méditerranéens ou dans les villages somaliens, ce n’est plus leurs problèmes.
Depuis 20 ans, l’omerta règne et les autorités semblent tout faire pour que ce silence perdure, pensent les habitants de la Province de Cosenza. Le repenti Francesco Fonti qui a relancé cette affaire des déchets toxiques au grand jour est invité par décision de justice à se taire.
Le Tribunal de Mantoue vient d’ordonner que “le mafieux n’ait plus de contact direct et indirect avec la presse et un quelconque moyen d’information”. Son avocat Claudia Conidi s’étrangle de rage et redoute que son client ne soit un homme mort à brève échéance.
Deux journalistes ont pu interviewer jusqu’à présent Francesco Fonti. L’un d’eux, Alessandro Farrugia suit ce dossier depuis 10 ans.
ITW Alessandro Farrugia, journaliste, spécialisé en affaires environnementales, à la rédaction du journal régional toscan, la Nazione. A interviewé le mafieux repenti, Francesco Fonti :
4′
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Dans les environs d’Amantea, où 40 000 personnes ont défilé le 24 octobre pour réclamer la vérité, les déclarations du Ministère de l’Environnement suivies de son empressement à classer le dossier sont aux yeux de la population plus inquiétants que rassurants. “Ce n’est pas le Cunski mais la Catania, un bateau de croisière coulé par un sous marin allemand en 1917″ précise le rapport officiel.
Mais les images diffusées en conférence de presse ne montrent rien. Et le Conseil de Region Calabre s’étonne de ne plus voir les bidons pourtant filmés lors de la première plongée le mois dernier.
L’avocate de Francesco Fonti précise que le repenti n’a jamais certifié que le bateau était leCunski. “Lui, il était chargé d’ amener les cargos au large, de les plastiquer et de prendre ses jambes à son cou avant que tout n’explose. Il n’avait pas franchement le temps de s’attarder sur les livres de bord. Un fait est : il a indiqué le lieu exact d’une épave. Cette épave s’y trouvait, et aucun document des autorités maritimes n’indiquait sa présence.”
En revanche, la Catania aurait déjà été reperé, attestent des documents portuaires indiqués par les associations écologistes, il suffit de les consulter. Le Catania reposerait à quelques kilomètres plus au nord et n’aurait pas les dimensions du bateau au large de Cetrato.
La Region et les associations écologistes semblent désormais livrer un bras de fer avec les autorités nationales.
A Cetraro, ITW Antonello Quaglianone, medecin, et militant écologiste.
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Natale di Grazie est mort.
Des journalistes locaux qui veulent enquêter et parler de cette affaire voient leur projet refuser par leurs directions.
Et puis une journaliste et son caméraman ont été assassinés le 20 mars 1994 . Ilaria Alpi, journaliste de la Rai 3 et son cameraman Milan Hrovatin enquêtaient en Somalie sur le trafic des déchets toxiques qui arrivait d’Italie par la mer.
Deux versions contradictoires circulent. Une commission d’enquête parlementaire conclut : un guet apens avec un tir lointain de kalashnikov.
En revanche, les témoignages recueillis sur place par enquêteurs et journalistes évoquent un meurtre en pleine rue. Tirs de pistolets à bout portant. Là aussi, difficile de savoir la vérité.